samedi 11 mai 2024

Je vous emmène en balade -7- Pays de charbon, pays de poésie.

Ancien texte perdu en 2015. remis à jour.

Partie ce matin à la découverte d’une région industrielle dévastée de mon petit pays, j’errais entre puits de mines oubliés et cokeries, tours de refroidissement et friches, sans poésie apparente.
Verreries effondrées, toits de tôle devenus jardins suspendus, cheminées stériles désespérément lancées vers le ciel.

Puits de mine abandonné . Rentrée trempée car prise dans un énorme orage d'été.
Dans et hors une tour de refroidissement désaffectée ! Folle j'étais !
Puis tandis que je laissais, comme toujours, mes semelles s’user au contact de l’asphalte et sentais mon cœur devenir plus uni à ce que je voyais, j’ai senti tout à coup, l’odeur métallique que dégagent les cheveux de ces hommes des charbonnages et des aciéries
.
Forges de Clabecq  dont ne subsiste plus que  ces bâtiments. Le sol devait être assaini et on y a construit des logements
   
















Une maison du côté de Tubize 05h30 du matin . La maison a été détruite. Je l'avais exposée au centre culturel de Tubize.
 
Je voyais leurs mains rudes, noircies du charbon incrusté sous leurs ongles, et qu’ils ne pouvaient nettoyer qu’au pétrole, puis au savon noir, sans jamais plus pouvoir les avoir propres, la peau devenue indigo comme celle les hommes du désert.
Je les voyais en bleu de travail, casques sur la tête et cantine à l’épaule, une cigarette consumée à la commissure des lèvres, le pas las, les yeux rougis que la suie bordait de khôl.


Je me suis souvenue qu’écolières, nous étions venues visiter cette région, alors que débutait la fermeture des charbonnages, qui représentaient toute la vie de ces hommes, et qu'aucun n'imaginait autre. 
Beaucoup se souvenaient avec effroi et chagrin de la catastrophe qui fit 262 morts en 1956  à Marcinelle.
C’est seulement, à ce moment, que j’ai saisi toute la poésie de ces images qui ne sont pas qu’industries oubliées et en  décrépitude, parce que j’entendais tout à coup les sirènes qui prévenaient qu’une nacelle allait descendre, 
parce que je devinais les hommes serrés les uns contre les autres, derrière la grille de l'ascenseur irrémédiablement close, avec au fond des yeux l'angoisse permanente d'un coup de grisou, 
j'imaginais les femmes le souffle court, respiration retenue, et leur soulagement à la remontée,
j’entendais les rouages se mettre en route, les câbles grincer et vibrer, et les chariots, remplis de charbon, cahoter sur les rails.

Au travers de la tôle d’un baraquement où aujourd'hui encore gisent lampes, chaussures et bidons éventrés, j'ai entendu toute une vie dont le cœur a cessé de battre.
 
ma "fée" à Marchienne au Pont, aujourd'hui disparue.


Depuis cette balade en 2015, la ville de Charleroi est devenue plus jolie : les rives de la Sambre joliment décorées. L'énorme éventration pour construire le centre commercial Rive Gauche, enfin comblé. Les ruelles retrouvent un peu de vie, et le battement des entrailles des usines encore en fonction le long du canal, se font toujours entendre doucement.

La splendide petite galerie du Centre a retrouvé ses promeneurs et libraires
Les graffitis de Marchienne au Pont. Disparus en 2021.
Le long de la nationale non loin des usines désaffectées.

Quelque part au-dessus ou le long de la Sambre ( Montignies sur Sambre? Je ne sais plus!) Depuis le balades se font plus rares, après une opération du genou en 2023 . Obéir au corps parfois il faut, comme aurait dit Mâitre Yoda !
 
 
Texte et photo Mona Mac Dee 2015

samedi 4 mai 2024

La magie oubliée



Il était une fois, une petite fée aux ailes cristallines. 
Elle virevoltait sans trêve, se posait sur une épaule accablée, y laissait tomber quelques paillettes dorées, murmurait un mot de tendresse silencieux et s’en allait vers d’autres humains, si durs, si tendres et si fragiles.
Les fées sont de petits êtres solitaires. 
Elles ont tant de monde à aimer que parfois elles ne savent plus où donner de la tête, se trompent et n’adressent pas toujours leur amour à qui en aurait eu besoin. Elle se donnait sans compter. 
Elle partait loin parfois, poussée par le souffle du vent qui lui avait chuchoté que là-bas, sans doute, elle serait plus utile qu’ici. 
Là-bas, très loin de ce pays si froid.
Elle voletait de dunes de sable en poussière d’étoiles, de princes en mendiants et d’esclaves en princesses.
Les épaules soudain se redressaient, les regards se faisaient plus vifs, les pas étaient plus hardis et les humains s’applaudissaient bien fort, fiers d’être si déterminés devant l’adversité.
Pas un, pas une ne pensa une seconde qu’une petite fée agitée aux ailes de cristal, avait ôté quelques cailloux de leur chemin. 
Pas un, pas une ne pensa que, peut-être un peu de magie les avait aidés.
La petite fée se sentait un peu lourde. Elle s’aperçut que ses ailes si fortes et si fragiles, irisées d’or, perdaient de leur éclat. La poudre magique disparaissait et elles prenaient les couleurs de l’hiver, de ces hivers gris qui plombent le ciel et le cœur.
Elle prit peur : y avait-il encore quelqu’un pour croire aux 
fées ? 
Plus personne ne croyait en elles. 
Cela seul pouvait expliquer le phénomène car, pensa-t-elle, quand le monde cesse de croire aux fées, il meurt !
Elle soupira lourdement, s’assit sur une petite pierre d’ocre, et vit ébahie, s’approcher un bien étrange cortège : il y avait un Petit Prince aux cheveux de blés mûrs, un renard rigolard et quelques poules agitées, un serpent jaune, sifflant et ondulant sur le sable, une rose coquette et rougissante, un allumeur de réverbère qui courait comme un fou, un milliardaire qui comptait ses sous, et un aviateur perdu, de grosses lunettes sur le nez.
Elle se frotta les yeux et se dit que le soleil lui avait tapé un peu fort sur la tête.
La magie n’avait donc pas tout à fait disparu du monde !
Le soleil se couchait sur l’horizon qu’il enflamma comme un brasier, puis tout prit une teinte d’une douceur infinie, tandis que montait haut dans le ciel, l’étoile du Berger. C'était aussi le moment où, dans le ciel d'encre, la belle Bételgeuse rougeoyait  en haut de la constellation d'Orion, le fier chasseur.
Mais ses ailes restaient grises et son petit cœur de fée bien lourd.
Elle sentit alors une présence, si menue, si ténue qu’elle crut rêver. 
D’abord une petite bruine de paillettes dorées l’entoura, puis une douce voix lui murmura :  "Le plus difficile, tu sais, dans notre travail de fée, c’est que nous ne saurons jamais, entends-tu, jamais, si nous avons sauvé quelqu’un du désespoir, nous n’aurons aucun retour de notre amour et on nous prendra parfois pour des sorcières, car nous aurons du employer la manière forte pour secouer les humains.
Tu crois que nous disparaissons parce que les hommes ne croient plus en nous ? 
Nous disparaissons parce que nous, nous ne croyons plus en nous ! 
Les hommes n’ont pas ce pouvoir !
Continue d’ être fidèle à qui tu es, à donner sans espoir de retour, à ignorer ton impact, à créer de la magie et du rêve là où ils semblent disparaître, à inspirer les arts et à répandre de la beauté.
Je n’ai pas besoin de te rendre ta poussière d’étoiles, elle est là, dans ton âme, dans ton cœur et il te suffit de la retrouver."

Un joli croissant de nouvelle lune brillait haut dans le ciel, et des milliers d’étoiles brillaient.
La petite fée soupira et pleura longtemps, secouée d’un chagrin longtemps retenu, mais d'où le désespoir avait disparu.
Elle reprendrait sa route, que l’on croie en elle ou pas, qu’on l’aime ou pas, juste parce que c’était là son rôle dans le grand jeu de la Vie.
Autour de la pierre sur laquelle elle était assise, ses larmes avaient formé une petite mare. 
Elle y vit la lune et les étoiles, puis elle y perçut un scintillement, timide d’abord et se demanda ce que c’était. 
Elle constata toute émue, que c’était elle qui scintillait ainsi. 
Elle déploya doucement ses ailes, esquissa un sourire : tout son corps à nouveau miroitait de mille feux !
Le grand secret ? Elle devait croire en elle-même, car rien ni personne n’avait plus de pouvoir.
Personne ne détruit la magie des fées, elles la détruisent elles-mêmes, en cessant de croire en leur propre potentiel.
Notre petite fée, toute lumineuse et fière, s’éleva dans le ciel.
L’étrange  procession qu’elle avait croisée revenait vers elle : Le Petit Prince lui fit un petit signe de la main, le renard lui adressa son sourire apprivoisé, la rose lui souffla un peu de parfum et le serpent qui, un moment avait espéré une victime, glissa très loin en ondoyant, furieux.
La petite fée laissa le vent la porter vers une destination inconnue. 
Ses ailes vibraient au son de sa petite musique intérieure et autour d’elle, des myriades de particules de magie lui faisaient un halo doré.


( Petites références au "Petit Prince" de Saint Exupéry sans lequel les fées ont bien du mal à survivre dans ce monde.)



Texte et photographie Mona MacDee



Minuscules


Minuscules, même pas de la taille d’une particule élémentaire, voilà ce que nous sommes dans l’univers, nous les humains, arrogants, parce que ce miracle nous est tombé dessus, sur cette petite planète bleue qui tourne comme une toupie : la vie  !
Assez arrogants pour nous penser les seuls.
Alors à toi mon ami qui te plains que «  tout est foutu », que l’humanité n’a pas d’avenir, et qu’à cause de cela tu te détruis, je te répondrai qu’elle n’en jamais eu.
Elle se pense éternelle, mais a toujours été vouée à la disparition, à la mutation, à la transformation, comme toute chose dans les milliards de galaxies, les milliards d'étoiles et de planètes.
Notre soleil se transformera en super-nova, un trou noir nous avalera, obsolescence programmée ?
Des civilisations anciennes ont connu une apogée et ont disparu, pourquoi en serait-il autrement de la nôtre ?
C’est pourquoi mon ami, je te dis qu’il faudrait chaque jour célébrer ce miracle de l’existence, cet extraordinaire outil vivant qu’est notre corps que nous polluons, abîmons et qui bien plus que les églises, les mosquées et les synagogues, est notre temple personnel.
Chaque jour, la gratitude pour ces instants de grâce devrait nous gonfler le cœur même lorsque de trop grandes émotions semblent vouloir nous le briser.
N’oublie jamais que nous ne sommes que ce point à peine visible perdu dans l’infini, mais imbu de lui-même et qui, dans l’instant, pourrait être écrasé comme un moustique sur un pare-brise, par une contraction soudaine de l’univers, agacé par cette puce insolente qui le fait se gratter jusqu’au sang !
Gratitude à chaque lever de soleil, à chaque ciel plombé, à chaque goutte de pluie, aux vagues de l’océan, aux dunes chantantes, au vols d’oies sauvages ; gratitude pour le sourire reçu et celui donné ; gratitude pour l'arbre encore debout qui offre son ombre.




Tu me dis que nous ne sommes pas égaux ?  Raison de plus pour apprécier l’incroyable chance qui fait de certains de nous des privilégiés, si, si, même toi ! 
Moi aussi je secoue de mes épaules ces plaintes accrochées qui disent : je n’ai jamais assez et je veux plus !
Cependant, si nous sommes arrogants, mécontents, déprimés, violents et tristes, si nous rions trop fort, si nous avons tant besoin d’être aimés, si notre manque est sidéral, c’est aussi parce que, perdus dans cette immensité infinie, nous sommes sans doute les seuls à avoir conscience de notre finitude.

Alors foutus pour foutus, chaque fois qu’une ombre se pose sur notre dos et nous force à nous mettre à genoux, chaque fois, si nous pouvons le voir, il y aura un sourire, un clin d’oeil, un peu de tendresse, un peu de chaleur humaine, un roseau penché sur l’étang, le regard d’un chien, une main sur la nôtre : rien n’aura plus d’importance : nous nous relèverons et, conscients de notre petitesse, nous nous reprendrons à sourire à cette vie si douce et si difficile.




Texte Mona MacDee Acrylique Mona MacDee  Photos de Pixabay ( libres de droits)

vendredi 19 avril 2024

Qui suis-je ? 2019


Pastel sec 20x30 MacDee

Tornade furieuse de sentiments déchaînés,
Vagues déferlantes de sens en ébullition,
Cascades iridescentes de rires cristallins,
Torrents impétueux de larmes,
Ventre-volcan en éruption de lave amoureuse,
Rives d’un fleuve de douceurs tendres,
Estuaire où pénètre le navire éperdu et hors d’atteinte des tempêtes,
Ruisseau de caresses sinueuses aux prairies de ton corps,
Arbre planté, racines profondes et branches lancées au ciel en une incantation lancinante,
Ombre, douce, alanguie et dorée du couchant,
Dune d’ambre et de miel qu’il te faudra gravir pour gagner mon amour,
Dent qui écorche ta lèvre, 
perle une goutte de sang écarlate, 
pour que tu comprennes que jamais plus, 
tu ne pourras me blesser,
Peau, bec et ongles, 
Tu ne me découvriras qu’en traversant le gué, 
qu’en affrontant les rugissants de vents et d’écume,
Astre, planète, nébuleuse,
Nue comme au premier jour,
Je flotte, abandonnée et joyeuse, 
mes ailes poudrées de fée déployées,
Faites de tant d’autres, et de milliards d’atomiques particules, dans l’Univers d'indigo infini. 


Texte et dessin: Mona MacDee

mercredi 17 avril 2024

Vie tournoyante et infinie.

 


« Il faut te ménager », voilà ce que j’entends souvent depuis que j’ai atteint un « certain âge ». Me ménager ? Dans quel but ? Me ménager pour ne pas mourir. Mission impossible ! Pour rester en bonne santé ? Au contraire, bouger, se forcer un peu, pas trop, juste assez pour ne pas rouiller dans un divan trop profond ; se reposer quand le corps le demande, être simplement à l’écoute de celui-ci.
Ne surtout pas écouter ceux qui trouvent que vous sortez des cases, marchez en dehors des clous, coloriez au-delà des lignes, chantez faux, et faites mille autres choses parce que vous vous sentez en vie !
N’écoutez pas !
N’agissez pas en fonction de votre âge qui n’est qu’un chiffre, mais en fonction de ce que vous disent votre corps, votre esprit, votre cerveau, votre âme.
Si vous dépassez vos limites, acceptez de revenir à plus raisonnable, un moment ou… définitivement, tout est permis, rien n’est jamais figé, tout change tout le temps et nous aussi.
Observez les nébuleuses dansantes et colorées, les galaxies aux bras enveloppants ( nous sommes dans un bras de la Voie Lactée…) et soyez époustouflés par leurs danses magiques.
Notre système solaire comporte des milliards d’étoiles, et des milliards de planètes. Nous savons si peu de ce qu’il y a au-delà et cela me met en joie, la joie de savoir que je ne suis rien à l’échelle du cosmos, et que pourtant je suis extraordinaire, faite des milliards de "blocs" de particules élémentaires créatrices de vie, de notre vie, ici. 
Cela en effraye plus d’un, et moi, je ne m’en lasse pas, joie infinie, je tourne avec la Terre, toupie folle autour de mon astre, perdue aux confins de ma galaxie bleutée qui tournoie aussi à à plus de 2 millions de km/h ! 

On ne peut en apercevoir que la tranche, cette longue bande qui irise le ciel de ses myriades d’étoiles lorsque la nuit est noire dans le désert.
Lorsque je mourrai, ne vous faites pas d’illusions, je n’irai pas revoir ceux que j’ai aimés, ils font partie de moi, pourquoi irais-je retrouver des fantômes ?
Je serai poussière tournoyante, matière noire et mystérieuse, part de nébuleuse gigantesque et chatoyante ou d’une nouvelle étoile, participant à jamais au jeu de la vie. 

 

 

Acrylique et texte Mona MacDee 

 

Tous les renseignements sur les vitesses de notre système solaire, galaxie et autres se trouvent facilement sur le Net. 

dimanche 14 avril 2024

La quête de Dame Deella Dee. Conte initiatique.



 CGI
 
Il était une fois, perché sur une colline d’Écosse, un très ancien château dont certains murs menaçaient de s’écrouler.
Tout y était demeuré immuable.
Il était entouré constamment de brumes opalescentes et le soleil n’y pénétrait plus depuis longtemps.
Un soldat très âgé y montait la garde.
Il était la dernière sentinelle.
Sa mémoire était devenue si chancelante, qu’il avait du mal à se rappeler la raison de sa présence en ces lieux.
Quelquefois l’ordre ultime qu’il avait reçu, parvenait à sa mémoire défaillante : «personne, personne n’avait le droit de pénétrer dans l’enceinte du château».
Il fallait  bien se rendre à l’évidence : plus aucun visiteur n’était venu depuis bien longtemps !
Le pont levis était vermoulu, et il aurait fallu être fou pour essayer de franchir les douves nauséabondes qui entouraient le sombre édifice.
La vie du vieillard touchait à sa fin et cela avait perdu pour lui tout intérêt.
Pourtant, il n’était pas tout à fait seul : là-haut, dans une des tours, le très, très vieux roi de ce petit pays, se mourait.
Qui donc allait désormais veiller sur lui ?
La rumeur se répandit dans les bourgs comme une traînée de poudre : qui allait régner sur le pays à la mort du vieux roi ?
Des foules se pressèrent sur les places des villages environnants pour en discuter : "que va-t-on faire, qui va veiller sur le roi, qu’allons-nous devenir sans souverain ?"
Il se produisit alors une chose extraordinaire : un parchemin se matérialisa sur l’arbre central de chaque place.
On put y lire ces mots :
« Les temps sont venus.
Notre sentinelle s’est éteinte après de très nombreuses années d'un service loyal ; un nouveau garde va être choisi parmi vous mais il devra faire preuve des qualités les plus subtiles.
Point ne lui sera demandé d’être vaillant guerrier, non plus d’être très instruit, mais d’une vertu il devra être paré : la sincérité.
Consultez-vous, préparez-vous et présentez-vous à la porte du château dans 7 jours ».
Les discussions reprirent bon train sur les places. Dans les jours qui suivirent, commencèrent de longues palabres pour choisir, parmi les hommes du village, celui qui allait pouvoir se présenter paré de la vertu souhaitée.
Chacun bien évidemment était persuadé qu’il était le seul capable de représenter honorablement ses pairs, que lui seul possédait cette vertu, mais encore quantité d’autres qu’on ne lui avait pas demandées et ignorées, semblait-il jusque là, par ses voisins !
Chacun se pensait le meilleur et c’est sans crainte qu’ils se préparèrent pour la grande épreuve.

Les hommes devinrent comme fous et se lancèrent dans mille extravagances :
certains, qui avaient voyagé dans des contrées lointaines, et s’étaient baignés dans le Gange en Inde, prirent forces ablutions consacrées, 7 bains par jour, suivis d’incantations bizarres et s’habillèrent plus bizarrement encore, quand ils ne se promenaient pas nus, couverts de cendres comme les Saddhus !
D’autres se firent oindre d’huiles orientales parfumées, raser le crâne, et d’autres brûlèrent tant de bâtonnets d’encens qu’une brume odorante flottait sur le village !
Les chevaliers fourbirent leurs armes et rendirent à leurs épées un éclat qu’elles avaient perdu.
Ils pensaient fermement que leurs actes de bravoure les désignaient plus particulièrement pour remporter la victoire et leur vaudraient la faveur du vieux roi.
Chacun à part soi pensa : «Je suis prêt».
Les sept jours passèrent. L'impatience était à son comble.
Tous se mirent en route, suivis par une foule agitée et arrivèrent très vite aux portes du château.
Le pont levis demeurait immobile et la herse restait obstinément baissée.
Comment aurait-il pu en être autrement puisque la sentinelle n’était plus !
Que se passait-il donc ? Que fallait faire ?
De guerre lasse, un soldat en armure qui portait une croix en bannière, s’avança en bombant le torse.
Un silence de plomb se fit dans la foule.
"J’ai combattu vaillamment dit-il d’une voix forte, j’ai suivi le chemin de St.Jacques et mon épée a lavé l’honneur de Dieu dans le sang de l’ennemi.
Je suis sincère  et purifié par mes actes."
L’assemblée retenait son souffle ; les regards étaient fixés sur l’entrée du château.
Un corbeau noir surgit du néant dans un grand bruissement d’ailes et fonça sur lui.
Il l’attaqua et réduisit sa bannière en charpie.
Le soldat s’enfuit en hurlant de terreur, et perdit dans sa course son épée et son honneur !
Quelques spectateurs, ébranlés par l’événement, fuyaient les lieux tout courage évanouit.
Un autre homme s’avança : c’était un moine vêtu d’une bure brune de toile grossière, de sandales de cuir et on pouvait encore remarquer sur son corps, les traces des mortifications qu’il s’était infligées. Sans doute portait-il à même la peau de sa cuisse, un silice. (objet de mortification et de pénitence)
Il parla avec componction : «J’ai prié tant et tant que ma bouche est desséchée ; j’ai parcouru de multiples chemins pour louer Dieu et la corde de mes sandales en est usée ; je peux affirmer que ma sincérité ne peut être mise en doute : je suis sans tâche et très pieux».
Le silence se fit sidéral.
Surgi comme par enchantement, un lion féroce, d’un bond formidable, franchit le fossé et mit en fuite le moine pénitent.
Beaucoup d’hommes, pris de superstitieuse terreur, détalèrent sans demander leur reste.
Pourtant, quelque vaillant ou quelque téméraire tentait malgré tout d’affronter l’inconnu.
Celui qui se disait philosophe, fort de sa culture et convaincu de sa supériorité, enfin s’avança et s’écria d’une voix puissante : « Moi, j’ai parcouru le monde, moi, j’ai prié, moi, j’ai jeûné et j’ai appris les philosophies orientales et lointaines ; moi, j’ai lu tous les livres de la terre et peu de choses ici-bas me sont inconnues.
Moi seul ici peux prétendre à la sincérité, dit-il gonflé d’orgueil».
L’assistance était muette. Elle attendait, sens en alerte.
Le corbeau et le lion se tenaient immobiles telles les chimères de pierre des cathédrales.
De la tour Est du château jaillit alors un éclair aveuglant.
Il frappa le philosophe et le transforma en un petit amas de poussière noire et fumante que le vent s’empressa de disperser en sifflant.
Aussitôt la foule s’égailla, bien décidée à ne plus revenir en ce lieu maudit.
 
CGI
Pourtant, un peu en retrait, une timide jeune fille patientait. Elle avait les yeux bleus et l'abondante chevelure acajou de ces contrées de vent, d’eau, de pierres et de silence et bien plus de courage que n'importe lequel des guerriers de ces clans.
Elle observait  les choses étranges qui se produisaient non loin  d'elle.
Elle hésita un moment, puis d’un pas décidé elle avança vers les douves, redoutant qu'on la lapide sans attendre. 
En ces temps, il n'était pas admis qu'une femme ose se penser le droit de parler comme les hommes.
D’une voix mal assurée, elle parla enfin : « Je m'appelle Deella Dee, mon père, le forgeron, qui avait souhaité un fils m'a rompue au maniement des armes. Du courage j'en ai à revendre. Dis-moi, vieux roi, que veux-tu que j'accomplisse ?                                                   Ferais-tu confiance à une femme ?
J’ignore si je suis sincère ou pure et vaillante.
Je n’ai pas bataillé et la prière n’est pas trop mon fort ; je n’ai pas étudié les livres, ni voyagé plus loin que mon village, mais j’ai essayé de faire de mon mieux là où je me trouvais.
Peux-tu au moins me dire…»
S'attendant au pire, elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, et les rares courageux qui étaient encore présents étaient pleins de colère devant son audace.
Un murmure de rage enflait sur la place.
Le corbeau ouvrit grandes ses ailes et vola vers elle.
De son bec il lui tendit un parchemin soigneusement enroulé et marqué du sceau royal.


Le lion d’un bond prodigieux vint se placer auprès de la jeune fille comme pour la protéger.
Deella, sous le regard haineux de la foule curieuse, déroula le précieux document et lut à haute voix :
«Tu as passé la première épreuve vaillamment.
Sur le chemin que tu vas suivre, tu rencontreras les quatre éléments : La terre, l'eau, l'air et le feu.
Les ténèbres chercheront à t'anéantir.
Il te faudra ou les vaincre ou te les attacher : ils seront alors tes alliés les plus sûrs.
Il te faut aussi l’épée la plus fine et l’armure la plus légère.
Notre vieux roi se meurt. Tu n’as pas beaucoup de temps. Prépare-toi».
Rien de plus ne lui fut expliqué.
La jeune femme bouche bée, n’y comprenait rien, hésitait :  c'était bien à elle que s'adressait ce parchemin ? Pressée par le temps, elle se hâta de retourner au village et se rendit immédiatement à la forge de son père.
Il avait tout vu, tout entendu, et fut d'abord très en colère que sa fille eut pu ainsi outrepasser sa condition de femme, mais il adorait sa fille, connaissait son courage devant l'adversité et confiant, commença à lui fabriquer une épée et une armure de l’acier le plus solide et le plus fin.
Il était homme d’intuition et se doutait que quelque chose de merveilleux se préparait.
Heureux de participer à cette extraordinaire quête, il se surpassa.
L’armure était si fine, si solide et si légère que Deella n’en ressentait pas le poids.
Quant à l’épée, seul le roi Arthur, en Cornouailles, en avait eue plus belle : Excalibur!




Ainsi harnachée, munies des conseils et la tendresse de son père dans le cœur, elle prit la route pour essayer de résoudre les énigmes du parchemin. Celui-ci disait une chose bien simple : " Lorsque tu auras marché un jour et une nuit, reviens au château." Elle éclata de rire ! C'était donc cela cette tâche insurmontable ?
Elle connaissait par cœur le chemin du château, mais lorsqu'elle eut tranquillement marché un jour et une nuit et qu’elle dirigea son regard vers celui-ci, tout avait disparu !
Devant et derrière elle, s’étendaient à présent des forêts denses de sapins sombres aux branches qui frôlaient le sol et où aucun sentier n'était visible.
Tout lui serait dissimulé, disait encore le message, et les éléments seraient hostiles.
En cheminant vers la forêt, Deella se demandait comment cela serait possible car elle imaginait mal, dans son calme pays, des «éléments hostiles»!
La nuit tombait déjà lorsqu’elle atteignit les bords de la rivière profonde qu’elle devait traverser pour revenir au château situé quelque part au-delà, derrière cette immense et inquiétante forêt. 
Franchir la rivière serait un jeu d’enfant.
Elle connaissait si bien cet endroit où elle pêchait par beau temps avec son père !
Chaque pierre du gué lui était familière et la pleine lune l’éclairait.
Cependant, elle se cacha derrière un amas de sombres nuages au moment ou Deella arrivait au milieu de la rivière.
Elle ne distinguait plus rien, ni derrière, ni devant elle.
Elle se sentait aveugle.
Il n'y avait plus aucun repère.
Elle entendait bien le doux murmure des flots, mais n’osait plus faire un pas : la rivière était profonde par endroit !
Tout à coup, une voix s’éleva dans la nuit et l’exhorta : «Voyons, avance ! Tes pieds connaissent les pierres mieux encore que tes yeux. N’aies donc pas peur»!
Une autre voix, ricanante et mielleuse s’opposa aussitôt : «Arrête! Tu vas te noyer !
L’eau est froide, glacée. Retourne donc d’où tu viens malheureuse»!
Mais le tracé du gué était gravé dans la mémoire de Deella et son épée lui permettait de sonder l’eau autour d'elle.
Confiante, elle avança sans crainte, et la lune, contente du bon tour qu’elle lui avait joué, reparut entre les nuées pour lui faciliter la fin de la traversée.


 

La première voix lui souffla à nouveau : «Tu as passé l’épreuve de l’eau : à partir de ce jour cet élément te sera attaché à jamais».
À ces mots son armure se nimba d’un halo léger.
Comme précédée d’un essaim de lucioles, elle illumina la nuit.
La jeune fille était épuisée par ces sortilèges.
Elle s’étendit sur l'herbe à l’orée des bois, dans une clairière abritée, mangea quelques baies qu'elle avait cueillies et s’endormit d’un sommeil sans rêves.
Lorsqu'elle se réveilla, le soleil du crépuscule rougeoyait en descendant derrière les grands arbres ! Elle avait dormi tout un jour et les ténèbres l'enveloppaient.
La forêt qui s’étendait devant elle semblait menaçante, mais elle ne pouvait imaginer que cette bonne terre qui l'avait vue naître, puisse lui réserver la moindre épreuve.
Elle marcha vaillamment toute la nuit à travers les bois, et les ronces denses pleines de griffes acérées.
L’aube commençait à poindre mais aucun sortilège ne l’avait menacée.
Elle se fit un lit de feuillage, et s’endormit presque aussitôt, bercée par le faible hululement d’une chouette lointaine.
Brusquement elle sentit le sol se dérober sous elle.
Elle tombait, tombait dans un puits profond.
La panique l’envahissait au fur et à mesure que sa descente s’accélérait.
Il faisait très chaud tout à coup : «Allait-elle se retrouver en enfer»?
Sa chute s’arrêta brusquement.
Cul par dessus tête, elle gisait à présent sur un lit de plumes où se trouvait allongée la plus fabuleuse des créatures.
Longue et mince comme une liane, couleur de lune, la créature lui fit signe d'approcher.
Deella contempla un instant, bouche bée, ce visage lumineux, dont le regard brûlait d’un feu étrange.
«Gentille Damoiselle, je ne te réserve pas une bien terrible épreuve.
Je suis le Centre, celle qui engendre toute vie.
Tu es l’élue et je peux faire de toi, la plus riche, la plus belle et la plus heureuse des femmes. Tous les hommes, qu'ils soient rois ou mendiants, seront à tes pieds.
Pour cela, je dois me préparer et commencer un sortilège, mais, à aucun moment, tu ne pourras me regarder l’exécuter».
D’abord totalement subjuguée, Deella se détourna, méfiante cependant.
En elle, une petite voix intérieure lui chuchotait de résister à l’envoûtement. Que lui importait d'avoir les hommes à ses pieds !
Une chaleur encore plus intense que dans le puits envahit la pièce.
Cela semblait provenir de la créature qui marmonnait derrière elle.
De toute la force de son être, elle appela à la rescousse son amie l’eau. «Oh, ma sœur l’Eau, aide-moi. Donne-moi la force de réagir. Cette chaleur me paralyse. Aide-moi, je t’en supplie».

 

Un bruit ténu d’abord se fit entendre, comme celui d’une source, puis devint comme celui d’un torrent, et l’eau jaillit de la paroi pour se jeter sur l’étrange créature qui se transformait à vue d’œil.
Deella se retourna :  le spectacle était terrifiant et elle ne put s’empêcher de mettre un moment la main sur ses yeux devant l'insupportable : le visage de la belle s’était mué en tête de Gorgone sur le corps d’un monstre infernal qui lui disait : «humaine, voilà ta fin»!
L’eau le força à ramper loin de la jeune fille.
Celle-ci tira l’épée du fourreau, et sans hésitation, trancha la tête de l'hydre, vite et fort.
Tout à coup il n’y eut plus rien, rien que le silence.
Plus trace de Gorgone, ni de monstre rampant.
L’Eau silencieusement se retirait, s’éloignait et rejoignit tranquillement son lit.
Une lueur diffuse se répandit alors dans la pièce, et une voix nouvelle parla : «Tu as triomphé de la deuxième épreuve et résisté à la soif du pouvoir que donne la beauté sublime. C’est moi qui suis la Terre-Mère, et je n’ai pas besoin  de sortilèges. Du soleil, de la lune, de l’eau, de la terre, toutes choses sont issues. Va et que la Lumière t’accompagne».
Deella avait à présent deux alliées de taille : L’Eau et la Terre.
Renvoyée à la surface, elle se sentait pleine de force et de sérénité. Que pouvait-il lui arriver de pire ?
Dans la nuit, son armure scintillait de plus belle.
La soirée était douce et embaumait le parfum suave de fleurs magnifiques apparues par miracle dans la si triste forêt.
Un tapis moelleux de mousse lui fit une couche confortable et c’est confiante qu’elle s’y abandonna après les émotions de la journée.
L’Eau, là-bas veillait, et la berça de son doux clapotement contre les berges, tandis que la Terre la borda et réchauffa son corps malmené.
La lune se fit discrète derrière les nuages.
Les villageois se demandaient : « Cette diablesse écervelée avait-elle survécu à son impudence ?"
Très loin, au château, le vieux roi se mourait et attendait. Il refusait de mourir avant d'avoir un nouveau garde au château.
Le temps pressait vraiment.
Lorsque Deella ouvrit les yeux, le vent se levait.
Il forcit, courba les joncs, écrasa l’herbe avec rudesse et fit ployer les grands arbres.
Une tornade approchait tournoyante et envoyait haut dans le ciel tout ce qu’elle rencontrait sur sa route.
Nul abri où se terrer.
La jeune femme inspira profondément et prit fermement appui dans le sol, y planta son épée et s’y agrippa de toutes ses forces priant la Terre de l’aider.
Les racines d’un arbre proche enlacèrent la pointe de l’épée plantée et s’accrochèrent fortement à ses chevilles.
La tornade s’enroula, rageuse, autour d'elle et pensa l’emporter, mais en vain.
Vaincue par cette force tranquille, elle se calma soudain et se fit velours.
Voilà qu’elle avait un nouvel allié : l’Air.
L’Eau rafraîchissante la lava, l’Air emplit ses poumons, le Vent en petites risées tièdes la sécha et la Terre accueillante lui fit un lit de feuillage pour s’y reposer avant de reprendre son voyage.
Elle rêva de gorgones et de dieux vengeurs, de monstres et d’anges, puis vint enfin le sommeil paisible et réparateur.
Le calme régnait dans la forêt.
Au réveil, l'armure de Deella  reflétait toutes les nuances du soleil levant. L’astre la parait d'un aspect féerique.
Une nouvelle journée d'épreuves l’attendait.
Le temps passait si vite, que devenait le vieux roi ?
Quelles craintes devait-elle avoir maintenant qu’elle avait des alliés aussi prestigieux ?
Elle ressentit alors la peur angoissante de ne jamais pouvoir atteindre son but, et il restait à vaincre les ténèbres et le feu.
«En serais-je jamais digne ? Qui-suis-je pour espérer vaincre les ténèbres et le feu ? Qui-suis-je pour espérer un  jour servir le roi, moi femme»? 
Elle tomba à genou et  pleura longtemps.
Ses larmes salées pénétrèrent doucement la terre.
Dans un bruissement de feuilles, au travers des rires des cascades, et des murmures de la brise légère, ses alliés lui parlèrent : «Regarde-toi, ne sens-tu pas que tu es dans les ténèbres? Tu les attends au dehors et tu ignores qu’elles sont en toi. En toi est la nuit obscure. Va à présent. Voilà ta dernière épreuve».


CGI

 Elle vit alors, du haut des cieux, un oiseau de feu gigantesque et flamboyant fondre sur elle.
Ses ailes flambaient et ses yeux étaient des escarboucles.
Deella se redressa, fière et décidée.
Une émotion inconnue s’emparait de tout son être.
Elle tremblait mais ce n’était plus de peur.
Plus aucune trace en elle d’angoisse ou de ténèbres.
 
Elle renonçait à se battre et fit alors une chose inimaginable : l’oiseau piquait sur elle en jetant des cris stridents, les ailes collées au corps, et prenait de la vitesse…
La femme accomplie qu'était devenu Deella, jeta au loin son épée, ôta son armure, cheveux flamboyants dans sa simple robe de coton, et bras écartelés, elle fit face au Phénix pour accueillir en elle ce déluge de feu.
Il n’y eut pas de choc quand le gigantesque brasier l’enveloppa. Lorsque le feu volant s’éloigna et disparut au loin, Deella brillait comme mille soleils, pareille à de l’or en fusion.
Tous les éléments, l’Eau, la Terre, l’Air et le Feu s’écrièrent en chœur : «Tu nous as vaincus et apprivoisés et nous te devons allégeance. Tu peux à présent te présenter aux portes du château, le roi t'attend».
Aussi limpide que l’eau, aussi forte que la terre, aussi ardente que le feu, aussi légère que l’air et guidée par sa propre lumière, Deella reprit la route.


LE VIEUX ROI

Le chemin du château fut cette fois incroyablement court, car à peine s’était-elle mise en route que déjà la forêt se faisait moins dense et que des trouées laissaient apercevoir les créneaux.
Arrivée près des douves, Deella s’écria : «Vieux roi, j’ai surmonté les épreuves, soumets-moi à ton jugement ultime.»
Par miracle, la herse se releva, le pont-levis s’abaissa, le lion et le corbeau s’avancèrent et prirent place à ses côtés.
Ainsi accompagnée elle pénétra dans l’enceinte interdite.
Le silence le plus total y régnait.
Les deux animaux s’éloignèrent et l'immense porte du château s'ouvrit dans un léger grincement, sur une salle dans laquelle crépitait un beau feu de bois.
Une douce musique enchantait les lieux.
Elle emprunta un long couloir ténébreux éclairé de bougies aux flammes vacillantes, mais point de roi.
Il y avait de nombreuses portes dans ce couloir.
La première portait un écriteau sur lequel on pouvait lire
« Orgueil».
La porte s’ouvrit sans qu’elle ait à la toucher, car dans ses aventures, Deella avait perdu tout orgueil.
Un peu plus loin, elle aperçut une seconde porte qui portait le mot «Vanité».
Là aussi le passage lui fut laissé.
Elle rencontra successivement les portes : Colère, Haine, Passion, Illusions et toutes les portes livrèrent passage à la femme de lumière.
Sur la septième porte il y avait le mot «Amour».
C’en était trop pour Deella. «Qui, ou qu’avait-elle aimé, et comment»?
Elle se laissa glisser sans force sur le sol devant la porte et se prit la tête entre les mains.
« Oh mon cher roi, que m’importent les honneurs et les récompenses, que m’importe de voir ton visage, je te promets de veiller sur toi et de garder le château aussi longtemps que je vivrai.»
D’abord rien ne se passa puis la porte s’ouvrit sur une grande salle triste où veillaient quelques soldats de pierre recouverts de poussière.
Étaient-ils bien de pierre ou bien un magicien leur avait-il jeté un sort ?

Au fond de la grande salle, une faible lueur éclairait ce qui paraissait être un trône.
Deella s’avança lentement sans perdre de vue la douce lumière.
Enfin elle le vit : sur le trône terni par le temps se tenait un très vieil homme, fatigué, usé par les siècles et les douleurs mais avec encore dans les yeux un éclat vif et pénétrant.
Dans ce fauteuil, l’homme qui la regardait ainsi, était pareil à elle.
Elle ressentait dans ses os l’intense fatigue du vieillard. Il était si léger que même une femme pouvait le porter. Pleine d’amour, elle le prit dans ses bras et le déposa dans une chambre proche où l’attendait un lit d’apparat.
Deella s’assit près de lui pour le veiller, prit la vieille main décharnée entre les siennes.
Elle lui humecta les lèvres d’un peu d’eau, déposa un peu de terre sur ses yeux, lui souffla légèrement sur le front, puis, elle moucha les chandelles et le confia ainsi aux éléments, son origine.
Elle demeura là un moment, attristée et perdue dans ses pensées. Qu'allait-elle faire maintenant ?
Elle regagna la grande salle et y perçut un changement subtil.
Faisait-il soudain moins sombre ?
Elle en fit pas à pas le tour comme la terre autour du soleil, et là, sur un guéridon, arrivée par quelque magie, son épée flamboyait, non plus symbole de bataille, mais de courage et de loyauté. Un écu qu'elle ne connaissait pas y était joint.
Elle prit l’épée dans ses mains, la levant haut vers le ciel et parla : «Vous qui m’avez aidée dans ma quête, ôtez-moi la vie si un jour je m’éloigne de mon chemin.»
Mais les éléments n’en avaient pas fini avec elle.
La voix cristalline du ruisseau lui murmurait de s’asseoir sur le siège souverain.
Elle lui disait que désormais ses hauts faits lui valaient le titre de Dame Deella Dee.
Cela ne se pouvait pensa la jeune fille !
Les voix des éléments insistèrent : "les habitants ont besoin de toi pour guider le village."
Timidement, elle s’approcha du trône, s’y installa et jeta autour d'elle un regard bienveillant.
Un serpent vert aux yeux de jade, descendit le long du dossier du trône et vint se lover sur ses genoux.  Les  voix reprirent: «Éclaire cette salle, redonne vie au château, fais briller aux alentours ta sagesse et sa renommée.Ta lumière doit être un feu vivant et qui t’approche doit pouvoir  en emporter un peu.
La joie et le bonheur doivent enfin revenir. Le temps des portes closes est révolu.
Va et agis».
Dame Deella se leva, pria les éléments ses amis de l’aider et des choses extraordinaires advinrent alors.
Les douves se comblèrent de terre et une herbe luxuriante l’envahit aussitôt.
La herse remonta et le pont-levis s’abaissa pour ne plus  jamais se relever.
Des musiciens invisibles jouèrent des musiques divines.
Les gardes reprirent vie et leurs costumes retrouvèrent leur éclat d’antan.
Les grandes portes s’ouvrirent largement et les villageois, en liesse, envahirent les lieux en acclamant leur nouvelle suzeraine ; les jardins s’emplirent des fleurs les plus rares et les plus parfumées ; l’eau pure jaillit des fontaines de pierre depuis trop longtemps taries et la licorne des Sages vint s’y abreuver.




Le vent jouait dans les arbres, et dans le ciel l’oiseau de feu brillait d’un éclat nouveau.
À cet instant précis, le vieux roi, serein, rendit son souffle à l’Univers.
Dame Deella Dee régna en reine sage et avisée de ce beau pays gaélique où les fées et les elfes se racontent encore son histoire.



Texte et photos: Mona MacDee
 
Illustrations libres de droits: Pixabay.  
I.A  ( CGI) générateur d'image  pour le château et Dame Deella Dee et le Phénix.
La licorne est issue d'un vieux manuscrit enluminé. 

vendredi 12 avril 2024

BALADE AUTOUR DE MES BANCS...

2020, eh oui, 2020 ! Qu’il pleuve ou qu’il vente, ne vous déplaise, tous les jours j’ai dévalé les escaliers de chez moi, pour de courtes ou de longues promenades, parfois dans un parc non loin, dans un très vieux et charmant cimetière, à pied, en bus, en train quand on le pouvait, seule dans un wagon déserté de la plupart de ses voyageurs ; parfois aussi quelques pas autour du  « bloc », et toujours vers 10h, un café brûlant à emporter : de chez la boulangère, du Night-shop devenu day- shop, de chez Mehdi, l’autre gentil boulanger tandis que crèvent, dans l’indifférence générale, mes bistrotiers.

 





J’ai cette chance, oui cette chance d’avoir cet âge certain, munie d’une santé de fer, du moins physiquement ; la chance de pouvoir bouger, m’offrir ce café. Tous les bancs environnants et même plus lointains m’ont vue débarquer ; j’ai même essayé les appuis de fenêtres de la papeterie du Parvis et appris à préserver mes fesses de l’humidité en emportant toujours un sac en plastique dans ma poche !
 




Le soleil de l’hiver, je le traque, je l’observe, j’ai suivi sa course déclinante jusqu’au solstice d’hiver pour profiter de ses rayons, quand il est là : 10h en octobre, 11h en novembre et 12 h en décembre, du moins à certains endroits.
Là sur le banc, transie, les doigts gourds serrés sur le chaud gobelet, j’entre en résistance à ma manière : je sors… chaque jour je sors puisque ce n’est pas encore interdit, toujours étonnée qu’à ces heures froides, parfois délicieuses, si peu d’entre nous osent ce plaisir.  

 



Il y a le banc sous l’auvent du «  Verschueren » à St.Gilles, aujourd’hui en faillite, face au commissariat, où j’ôte mon masque et fais durer le plaisir du café. Une amie me rejoint quelques fois, le balayeur nous fait la causette, un égaré s’installe et nous parlons de quoi… ?
 


 

Grâce à ces mots fragiles, nous résistons comme nous pouvons à la solitude de nos appartements.
Un banc du parc m’accueille aux meilleurs jours, où j’observe les promeneuses de chiens, les gens qui courent et les «  comme moi » qui égrènent ici les heures.

 

 
Le grand banc de bois en face de chez Mehdi a ma préférence : quand il fait sec et lumineux, j’en ai pour 2h de soleil et je m’accroche à lui  comme à ma bouée de sauvetage : de la lumière, du soleil sur ma peau pâle, en liberté surveillée…

Mais peu d’enfants dehors. Eux aussi sont sacrifiés… toute une génération oubliée des politiques, des médias, laissée à elle-même et à des parents en voie de désespérance.
Mes bancs sont le théâtre de mes colères rebelles, de mes résistances, et ce n’est que grâce à eux que je tiens le coup.

 



 
Parfois, sur la même place, je change de banc, selon que la pluie tout à coup se déverse, selon les déplacements du soleil.
Hier matin, 8h, les fenêtres se sont ouvertes en grand sous la bourrasque ! Il pleuvait à seaux. J’ai sauté dans mon Jean’s, me suis harnachée de pied en cap, et suis descendue, ainsi vêtue,  à pied vers la Grand’Place de Bruxelles, par les petites rues. 



Le vent hurlait tandis que je passais devant le Palais de Justice où quelque besogneux travaillait. Des corneilles criaillaient invisibles, sinistres, et d’autres bancs devant d’autres cafés à l’abandon parsemaient mon chemin.

 
Grand’ place vide, pluie battante et les Galeries St.Hubert éclatantes de lumières et de flaques d’eau. Malgré tout, j’ai trouvé mon café, et me suis installée sur le banc détrempé, près de l’Église Marie Madeleine. Bien emmitouflée, j’ai dégusté mon « kawa » sans me soucier du vent : j’avais Bruxelles pour moi seule ! 


 

J’ai observé ce boulevard Anspach désert, le théâtre de la Monnaie sans diva, et la place de Brouckère où les hautes tours provoquaient des tourbillons violents et déchaînés ; puis la honte de nos pays trop riches : une famille de réfugiés sans doute, abrités du mieux qu’ils pouvaient sous les lumières publicitaires criardes d’un bâtiment.
 


Un dernier banc sur la place Ste. Catherine, et puis le tram pour rentrer dans la chaleur douillette de mon appartement désert. 




Aujourd’hui, ce sont là mes voyages, j’attends comme beaucoup, d’aller serrer les miens lointains, dans mes bras. 

Klimt : Le Baiser et des tulipes pour mettre des couleurs au gris des jours.


En attendant je ne vais plus de ville en ville, mais de banc en banc. 

 

 

Mona MacDee